Les Chroniques de Canelle : escalade en Catalogne

 
 

Certains attendent l’arrivée de la neige à Chamonix avec impatience, d’autres au contraire fuient l’hiver pour prolonger encore un peu la saison de grimpe. C’est le cas de Canelle, qui, début décembre prend la route direction l’Espagne pour découvrir les sites mythiques et secrets qu’offre la côte catalane.

_ Écrit par Canelle Suchet

 
 

Quand on dit Espagne, la plupart des gens pense aux grandes plages de sable, au farniente et aux bars à tapas. Les grimpeurs, eux, ont cependant une toute autre image en tête. La simple énonciation du pays leur évoque des noms tels qu'Oliana, Siurana ou encore Margalef. Loin des hôtels et des vacances passées à dorer au soleil, ils rêvent de parkings poussiéreux érigés en camp de base et de grands murs de calcaire abrasif dont l’ascension râpe la peau des doigts. 

 

En beaucoup de points, je me retrouve dans cette seconde catégorie d’individus. Alors, lorsque j’ai passé la frontière espagnole début décembre je n’ai pas pu m’empêcher de faire un détour dans la province de Tarragone pour aller découvrir ces sites d’escalade de renommée mondiale le temps d’un bref arrêt. Cela était sans compter sur le fait que j’allais me faire adopter par un groupe de locaux et tomber amoureuse de la région. Résultat, me voici près d’un mois et demi plus tard toujours au même endroit. Mon passage éclair s’est converti en un séjour prolongé et je découvre chaque jour ou presque de nouveaux secteurs magnifiques, dans une diversité de styles et de couleurs infinie. Oui, la Catalogne a à elle seule de quoi occuper un grimpeur le temps d’une vie … 

 
 

arbolí

Trompez-vous de sortie d’autoroute trois fois, tournez à droite au lieu de continuer tout droit, évitez tous les panneaux indiquant des directions et roulez à l’aveugle pendant une bonne dizaine de kilomètres sur une minuscule route sinueuse serpentant entre les reliefs des collines catalanes. Ainsi, vous serez bien certains d’arriver à Arbolí. 

Cachée dans l’ombre de sa voisine de renom Siurana, cette petite bourgade d’une centaine d’habitants passe très souvent inaperçue aux yeux des grimpeurs qui se rendent chaque année en pèlerinage dans la Mecque de l’escalade sportive espagnole. Pourtant, Arbolí réserve elle aussi bien des surprises. 

Il faudra pour en découvrir les secrets faire toutefois preuve d’un peu d’originalité. Si se perdre est très certainement le moyen le plus simple d’en trouver l’itinéraire, passer la nuit dans son camion sur le parking au centre du village interdit aux vans est sans conteste le pré-requis fondamental à un voyage d’escalade digne de ce nom. Il n’y a que de cette façon que vous serrez invités par des locaux à venir boire le thé et que les secrets du lieu vous seront dévoilés. 

En effet, à Arbolí, les gens ont leur propre topo. À l’allure bien plus rudimentaire que le traditionnel guide englobant grossièrement chaque spot de la région de Tarragone, celui-ci ne recèle pourtant pas moins de 27 secteurs et 545 voies dissimulés de part et d’autre du village. Des grands murs de calcaire jaune, aux belles dalles grises en passant par des blocs aux formes si emblématiques et d’imposants surplombs, Arbolí à elle seule fait déjà sensation.

 
 
 

Margalef

Tous les grimpeurs passionnés par leur sport vous dirons qu’ils connaissent ou auront au moins déjà entendu parler de Margalef. Pourtant, si vous faites dix kilomètres pour vous rendre dans la vallée voisine et que vous dites aux locaux d’où vous arrivez, il seront susceptibles de vous regarder avec des yeux intrigués. Marga… quoi ?? 

C’est très simple, à Margalef, on ne peut rien faire, sinon de l’escalade. Le hameau compte tout au plus une quinzaine d’habitations et vous n’y trouverez pas l’ombre d’un commerce d’ouvert pour vous réapprovisionner. Pourtant, quelle que soit la période de l’année, il y aura toujours des dizaines et des dizaines de vans garés sur tous les terrains vagues conçus à cet effet. 

Au pied des voies, ça parle français, italien, anglais, allemand, suédois, hongrois, et bien sûr espagnol, mais pas tant que cela. 

Le cosmopolitisme de ce secteur s’explique principalement du fait que chacun peut y trouver son compte. Des centaines de voies ornent les dizaines de falaises de la vallée. Des dalles du secteur de Can Llepafils dans le 4ème et 5ème degrés jusqu’au toit d’El Laboratori et ses 9b devenus célèbres par les essais de Chris Sharma et Adam Ondra, il y a en a pour tous les goûts, toutes les envies.

 
 

Siurana

La réputation de Siurana et de ses grandes falaises de calcaire n’est sûrement plus à faire. Chaque changement de saison voit les parkings de ce petit village se remplir de fourgons devant un nombre de grimpeurs de tous horizons qui jamais ne décroit. 

Pourtant, lorsque beaucoup font le déplacement pour aller goûter à la qualité du calcaire espagnol et à la beauté des mouvements techniques sur de toutes petites réglettes que son escalade nécessite, d’autres préfèrent sortir des sentiers battus et partir à la découverte des falaises de grès rouge.

Ces strates de grès bordent les contreforts des parois siuraniennes et demeurent pourtant laissées pour compte. Pour cause, bien que quelques voies y soient équipées, celles-ci ne figurent pas dans le topo. S’y engager relève alors de l’aventure. À première vue, cela semble attrayant, surtout que les formes sculptées dans la roche et l’inclinaison de la falaise incitent plutôt à la confiance. Mais il faut parfois se méfier des apparences… 

Dès les premiers pas, le crépitement du sable qui s’effrite sous les pieds mêlé à l’espacement des points et à la préhension douteuse de gros aplats fuyants pour uniques prises de mains feront regretté d’avoir parlé trop vite. Il faudra quelques longueurs et une bonne dose de modestie avant de se prendre au jeu et de savourer cette escalade si particulière dans un subtile mélange de force et d’équilibre.

 
 

Montsant

Cornudella de Monstant est en quelque sorte l’épicentre de la grimpe catalane. Lieu de convergence de la communauté des grimpeurs-vanlifers, cette petite ville offre toutes les commodités requises : épiceries de produits frais, boulangerie, station service, gîtes où des douches sont mises à disposition.

Une fois ce réapprovisionnement obligatoire effectué, il faudra quitter la ville pour trouver un emplacement où passer la nuit au calme. La Morera de Montsant sera alors le parfait endroit. Ce village situé à quelques kilomètres de Cornudella semble comme être miraculeusement posé aux pieds des imposantes parois du parc naturel du même nom. La vue imprenable qu’il offre sur les beaux reliefs catalans inviterait presque à la méditation. Mais vous n’êtes pas venus ici pour cela. 

 

Dès les premières lueurs du jour, sac à dos sur les épaules, vous partirez en direction de l’un des secteurs du site. Après quelques kilomètres sur une piste de terre et une marche d’approche d’une bonne demi-heure, vous voici finalement au pied des fameuses falaises aux formes étranges. La vue est à couper le souffle et l’escalade n’en est pas moins magique. 

De grandes envolées allant de 35 à 45 mètres sont équipées de part et d’autre des grands murs de conglomérat à la qualité surprenante. Ce poudingue de galets aux formes arrondies sculpte des prises à doigts qui ne se comptent plus. Gare toutefois à ne pas vouloir s’élancer trop vite à l’assaut de ces grandes parois parsemées de bidoigts, ou vous finirez par en oublier la verticalité. 

Le seul moyen de ne pas s’arrêter sera d’apprendre à danser avec le rocher. Montant les pieds tantôt à gauche, tantôt à droite, respirant calmement et gardant le plus que possible les bras tendus, en équilibre dans de gracieux mouvements.  

 
 

Canelle Suchet

Les chroniques de

canelle

Je suis née plongée dans le milieu de l’escalade sans pour autant avoir jamais eu envie d’y goûter. Bien plus portée vers les balades à cheval, la construction de tyroliennes et les élevages de poules durant mon enfance, il a fallu attendre mes quinze ans pour que j'aille faire en solitaire l’ascension de mon premier petit sommet et que je tombe amoureuse de la montagne. Dès l’été suivant, je traversais les Alpes avec mon sac à dos tout en gravissant un sommet différent chaque jour et enchainais avec 15 jours de randonnée dans les Pyrénées en dormant à la belle étoile. Cela a donné naissance à toutes sortes d’aventures. Très vite, j’enfilais mes premières paires de crampons et découvrais avec stupéfaction que j’adorais en réalité l’escalade. 

Ayant toujours eu un parcours scolaire quelque peu atypique, je décidais d’arrêter complètement les cours en terminale pour partir faire du trekking en Israël et des stages avec des chiens de traineau avant de finalement passer mon Bac en candidat libre. L’examen en poche n’a pas marqué pour moi l’ouverture d’une porte vers l’enseignement supérieur mais la fermeture tant attendue avec celle des mes années d’école. Avec le temps et la liberté que je requérais, je fis alors le choix de m’adonner entièrement à ce qui m’avait toujours passionné : voyager, écrire, apprendre de nouvelles choses par moi-même, passer du temps en montagne. 

Aujourd'hui je suis ce chemin peu conventionnel, qui me mène vers des projets et des aventures très variées dont l’idée conductrice demeure la même : celle de découvrir de nouvelles choses et de partager les découvertes, les histoires et les enseignements que m’apportent ces expériences de vie et ces voyages.

 
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