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Les Chroniques de Canelle : Mont-Blanc par les 3 Monts

Pour sa deuxième chronique, Canelle nous partage son ascension de Mont-Blanc avec son ami Simon en passant par l’itinéraire des 3 Monts… Non sans quelques rebondissements !

_ Écrit par Canelle Suchet

Nous sommes le 31 août 2021. Je suis en Suisse, au bord du lac Léman et savoure les températures encore estivales de cette fin de saison. L’après-midi est déjà bien entamée quand je reçois un coup de fil de mon ancien collègue et ami Simon qui m’appelle pour me faire une drôle de proposition. Pas le temps d’échanger de quelconques banalités que celle-ci est déjà lancée : « Voudrais-tu nous accompagner au Mont-Blanc, ma mère et moi, en passant par les 3 Monts ? 

À la fois prise de court et amusée je réponds dans un élan de spontanéité quelque chose comme :

- Bien sûr avec plaisir ! 
- Rendez-vous demain 13h au pied du téléphérique dans ce cas-là.
»

Je réalise seulement en raccrochant ce que ma réponse irréfléchie sous-entend vraiment. Mon escapade touristique ainsi écourtée, il est alors temps de rentrer dans la vallée et de commencer à empaqueter matériel et provisions pour notre petite expédition du lendemain. Je reprends la route en souriant à cette idée. 

Il paraît que toute histoire de montagne mémorable se doit d’être énoncée par une entrée en matière improbable…

Le tacul, le maudit et enfin le mont-blanc

L’itinéraire des 3 Monts est sans doute l’alternative la plus connue à la voie normale du Mont-Blanc. Le trajet type se veut de prévoir une nuitée au refuge des Cosmiques de manière à pouvoir entamer la montée vers le sommet bien avant l’aube. À première vue, cette course parait moins contraignante que sa concurrente : grâce à l’approche en téléphérique, l’altitude de départ s’élève à 3613m contre 2372m à la sortie du tramway au Nid d’Aigle de l’autre côté de la montagne. Pourtant, elle exige quelques pré-requis dont sa voisine est exempte. En effet, comme son nom l’indique, l’itinéraire des 3 Monts passe par deux autres sommets de plus de 4000m avant d’atteindre celui du Mont-Blanc, à savoir  le Mont-Blanc du Tacul et le Mont Maudit. Cette course en altitude requiert ainsi certaines connaissances en alpinisme pour évoluer sereinement au milieu des crevasses, passages de rimayes et autres pentes de glace qui jonchent son trajet. Léger détail qui, compte tenu de l’inexpérience totale de la maman de Simon en montagne, rend notre choix d’itinéraire plus que questionnable. 

Cependant, sa grande motivation et les conditions parfaites de cette fin de saison semblent jouer en notre faveur, comme nous le rappellent les gardiens du refuge des Cosmiques à notre arrivée. De toute façon, pas de pression. Nous parlons de la journée du lendemain l’esprit serein et pour le sommet, nous verrons bien !

l’heure de quitter le refuge des cosmiques

Le réveil sonne à 23h30. Nous nous levons à la fois soulagés et dépités de ce que l’on ne peut appeler une bonne nuit de sommeil. Les trois dernières heures passées dans le dortoir bruyant n’auront vu aucun d’entre nous tomber dans les bras de Morphée. Mais nous sortons tout de même avec entrain de nos sacs de couchage, satisfaits de mettre toutes les chances de notre côté en prenant de l’avance sur notre horaire et commençons notre procession sur le glacier dans un silence presque religieux parmi les montagnes endormies. 

À mi-chemin du sommet du Mont-Blanc du Tacul, nous sommes pourtant contraints de faire demi-tour. Notre ascension qui, jusqu’à présent se déroulait sans accroc, se voit interrompue par l’escarpement soudain du relief qui inquiète la maman de Simon. D’autant que les crevasses béantes et les traces de chutes de séracs de la semaine passée ne sont pas là pour la rassurer… 

Nous rentrons donc au refuge, grignotons les restes du petit déjeuner, puis, sans nous concerter, Simon et moi échangeons un regard empreint de la même idée : « On y retourne !? » 


Voici comment nous nous élançons une seconde fois au petit trot sur le glacier, crampons aux pieds, derrière une flopée d’autres cordées qui nous ont cette fois-ci devancés. Il est 3h30 du matin. Notre cortège ainsi réduit à un duo ne fait qu’accroître notre vitesse de progression. En peu de temps, nous arrivons au sommet de l’épaule du Tacul et attaquons la descente vers le col Maudit avant de nous engager sur les premières pentes de la montagne du même nom. Les deux heures qui suivent sont dédiées à son ascension. Sur les flancs du Mont Maudit, la progression est plus délicate. Nous passons au pied de gigantesques séracs, enjambons de larges crevasses aux profondes abîmes et devons sortir nos piolets pour évoluer sur les pentes inclinées à plus de 50 degrés qui, à cette époque de l’année, sont glacées. Nous arrivons finalement au col avec les premiers rayons de soleil qui réchauffent tout doucement nos corps engourdis par le froid mordant des dernières heures de la nuit. 

les interminables derniers mètres avant le sommet

La vue est incroyable et nous découvrons le Mont-Blanc pour la première fois depuis notre départ. Il semble si proche, mais ne l’est pas encore. Impression que les prochaines heures ne feront que confirmer… 

En effet, après une courte descente vers le col de la Brenva et une remontée raide sur le Mur de la Côte, il reste encore 350m de dénivelé qui ne sont pas à minimiser. Moins pentue, l’inclinaison de la trace est tout simplement barbare. Trop raide pour cheminer sans effort et pas suffisamment pour avoir l’impression de bien avancer, les derniers mètres avant le sommet sont un véritable supplice psychologique. La fatigue de la nuit, mêlée au froid et à l’altitude n’aident en rien. 

Tout ce qu’il y a à faire est de continuer à avancer, simplement un pas après l’autre. Il faut faire le vide dans sa tête, cesser de penser à la distance qu’il reste à parcourir, au chemin du retour, aux parfums de glace que nous choisirons à notre arrivée en ville. Il ne faut pas commencer à questionner son degré de motivation restant, chercher à se stimuler en se remémorant son amour pour la montagne et sa forte détermination. Il ne faut pas non plus s’égarer dans l’élaboration de remarques cyniques à adresser à son compagnon de cordée qui, se voulant encourageant, se retourne toutes les 20 minutes pour lancer un joyeux : « bon, là je suis sûr qu’il ne reste plus que 20 minutes ! ». Tout ce qu’il faut faire, c’est se taire, si bien extérieurement qu’intérieurement et continuer de marcher. Regarder la vue, fixer simplement son attention sur ses pieds. Jusqu’au sommet.

Il est un peu moins de 10h lorsque nous rejoignons enfin l’arête sommitale. La vue imprenable sur tout le massif qui s’étend dans un panorama à 360 degrés a vite fait de nous redonner de l’énergie. Perchés à 4808m d’altitude, nous dominons tout. Au loin, la ville de Chamonix donne l’impression d’être une maquette tandis que les montagnes du versant italien, tout comme les Drus ou le Grand Capucin semblent elles aussi avoir perdu de leur envergure. Nous savourons longuement ce spectacle avant de nous remettre en route. 

Abandonnés par les autres cordées qui ont toutes choisi d’amorcer leur retour par l’arête des Bosses et le refuge du Goûter, nous sommes complètement seuls pour le reste de la journée. Notre descente par le même itinéraire se déroule sans encombre et, malgré l’improvisation de rappels douteux sur les flancs du Mont Maudit qui nous font perdre beaucoup de temps et d’énergie, nous passons finalement la porte du refuge des Cosmiques aux alentours de 16h pour récupérer notre partenaire soulagée de nous voir rentrer. 

le retour à chamonix

Cependant, la journée n’est pas encore terminée. À peine le temps d’échanger quelques mots, qu’il faut déjà se rééquiper. Nous n’avons que 45 minutes avant le départ de la dernière benne. Le lancement de notre sprint ultime est ainsi amorcé. Nous nous élançons sur le glacier en courant et remontons l’étroite et vertigineuse arête du Midi avant d’arriver, juste à temps et complètement essoufflés, au départ de la cabine du téléphérique qui doit nous ramener en ville. Monter à bord de la dernière benne est un soulagement. Nous relâchons enfin la pression des dernières minutes de notre course folle et constatons pour de bon l’état de fatigue dans lequel nous nous trouvons.

Notre petite aventure, additionnée à l’aller-retour nocturne sur les flancs du Tacul et à la remontée épique de l’arête, nous aura fait comptabiliser un joli total de 18h de marche dans la montagne pour environ 2400m de dénivelé positif parcourus entre 3613m et 4808m d’altitude. 


Dans l’état de fatigue mentale et physique mêlé à l’inconfort provoqué par le froid et la progression en altitude, il y a toujours un moment où l’on se demande pourquoi on fait cela. C’est vrai, toute personne sensée s’est un jour demandée quel était l’intérêt d’aller en montagne. Pourquoi quitter le confort d’une douche, d’un vrai lit et d’un radiateur pour aller marcher dans la neige en pleine nuit avec une migraine et le souffle coupé pendant 18h d’affilée ? Présenté comme cela, il y a de quoi se sentir un peu stupide. Et c’est d’ailleurs ce que l’on se dit avec Simon en montant dans le téléphérique en cette fin d’après-midi du 1er septembre 2021. « On est  quand même un peu stupides… ce n’est pas demain la veille qu’on risque de retourner là-haut ! » 

Pourtant, les 20 minutes de trajet suffisent à nous faire oublier ces paroles. À peine en bas, plongés dans l’effervescence de Chamonix en période d’été, nos regards se posent déjà à nouveau sur les hauts sommets. Alors on repense à la beauté des lieux, à ce silence profond qui est propre aux montagnes et à l’atmosphère si particulière qui y règne. Puis, on oublie notre fatigue ou bien on choisit délibérément de la faire passer au second plan. Très vite, trop vite, dans notre esprit ne demeure que le souvenir de la véritable expérience que l’on a eu. Loin des histoires de piolets, de crampons, de performances, de temps d’ascension et de conditions, ce qui nous reste est la sensation d’avoir vécu quelque chose de spécial. De s’être sentis vivants bien qu’épuisés, pleinement conscients malgré nos divagations et surtout d’avoir été simplement là, présents. Au contact de la montagne et de sa grande force. Tout le reste devient superflu et on sait que bien plus profond est ce que l’on a vraisemblablement vécu. C’est cela la vraie histoire qui rend mémorable une improbable sortie en montagne. Nous le savons et il s’agit de ce sentiment qui se traduit dans nos yeux lorsque nous les dirigeons à nouveau vers là-haut.

 Alors avant de se quitter, nos regards se croisent une dernière fois dans un échange qui dit : « On remet ça bientôt ! ». 


Je suis née plongée dans le milieu de l’escalade sans pour autant avoir jamais eu envie d’y goûter. Bien plus portée vers les balades à cheval, la construction de tyroliennes et les élevages de poules durant mon enfance, il a fallu attendre mes quinze ans pour que j'aille faire en solitaire l’ascension de mon premier petit sommet et que je tombe amoureuse de la montagne. Dès l’été suivant, je traversais les Alpes avec mon sac à dos tout en gravissant un sommet différent chaque jour et enchainais avec 15 jours de randonnée dans les Pyrénées en dormant à la belle étoile. Cela a donné naissance à toutes sortes d’aventures. Très vite, j’enfilais mes premières paires de crampons et découvrais avec stupéfaction que j’adorais en réalité l’escalade. 

Ayant toujours eu un parcours scolaire quelque peu atypique, je décidais d’arrêter complètement les cours en terminale pour partir faire du trekking en Israël et des stages avec des chiens de traineau avant de finalement passer mon Bac en candidat libre. L’examen en poche n’a pas marqué pour moi l’ouverture d’une porte vers l’enseignement supérieur mais la fermeture tant attendue avec celle des mes années d’école. Avec le temps et la liberté que je requérais, je fis alors le choix de m’adonner entièrement à ce qui m’avait toujours passionné : voyager, écrire, apprendre de nouvelles choses par moi-même, passer du temps en montagne. 

Aujourd'hui je suis ce chemin peu conventionnel, qui me mène vers des projets et des aventures très variées dont l’idée conductrice demeure la même : celle de découvrir de nouvelles choses et de partager les découvertes, les histoires et les enseignements que m’apportent ces expériences de vie et ces voyages.