Une histoire guidée par la passion… depuis 1934 !


Comme en 14 !

× La promesse d’Harold

Chamonix 1918. Dans la famille Devouassoud, celle des fameuses cloches et sonnettes, les filles sont éduquées, mignonnes, dévouées. Elles parlent anglais de surcroît. Peut-être pas beaucoup, mais assez. Assez pour être priées, ou tentées, on ne sait plus, d’aller rendre visite aux sammies on leave, ces permissionnaires de l’American Expeditionary Force qui ont combattu aux côtés des poilus. Ces jeunes américains arrivent fourbus ou convalescents et sont tous désireux d’oublier les horreurs de la guerre en s’amusant aux côtés des locaux, aidés du petit dictionnaire franco-anglais que leur a distribué l’US Army. Chamonix fait partie des 33 leave areas où officiers et soldats doivent se refaire une santé sous le contrôle et l’animation des YMCA (young men christian’s association) : le Keep fit for home a remplacé le keep fit for fight! Ils sont des centaines à débarquer, des milliers, ils seront même plus de 16 000 entre décembre 1918 et avril 1919 à avoir pris le PLM pour Chamonix...

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Une aubaine pour les hôteliers en ces temps de guerres, qui peuvent ainsi remplir les 80 000 m2 de plancher construits depuis que le rail a désenclavé le bourg en 1901. De nombreux contingents sont installés au Majestic ou au Grand Hôtel de Savoy, flambants neufs. Les ordres sont stricts : défense de s’aventurer en montagne sans guide, défense de boire champagne, cognac, whisky et liqueurs ... mais rien n’interdit vin, bière ou “mademoiselle, vous promenade avec moi ?”

Cependant, de la jeune Marthe Devouassoud et du beau Harold Snell, on sait seulement qu’ils eurent le temps, en dansant, de se regarder les yeux (bleus) dans les yeux (bleus) et de tomber amoureux.

La grande guerre s’achevait. Harold rentra dans sa patrie, complètement fit for home, mais en promettant de revenir as soon as possible. Marthe, sagement, attendit. Harold Wyllis Snell, né à Moscow, Michigan, diplômé de l’université du Kansas en 1917, était principal d’un collège à Ford / Kansas lorsqu’il s’est engagé dans l’AEF au sein du 10e bataillon des Signal Corps, spécialisé dans les transmissions. Il avait 25 ans quand il embarqua pour la France, en octobre 1917. Treize mois et une promesse plus tard, il rentrait au pays. La guerre était finie, sa vie était à construire, il fallait trouver les moyens d’aller retrouver Marthe... Il fallait un travail, des économies, des idées...

24 juillet 1919. Harold entre comme rédacteur en chef au journal Manhattan Mercury à Douglass / Kansas, puis intègre la Western Electric Company et quatre ans plus tard embarque pour l’Europe, destination Paris, où l’on sait seulement qu’il travailla pour une maison d’édition... l’important c’est qu’il gagna les Alpes, et, promesse tenue, retrouva Marthe au pied du mont Blanc... Après six ans d’attente et des dizaines de mails qui avaient traversé l’Atlantique en bateau, la jeune Chamoniarde se jeta dans les bras du bel Américain, et il semble que Chamonix tout entier l’accueillit avec joie. Il faut dire qu’entre temps, la famille Devouassoud s’était renseignée, chargeant le curé de Chamonix d’envoyer lui aussi des lettres au Kansas afin de vérifier auprès du pasteur les bonnes moeurs du jeune américain. C’est ce même curé qui convertira le jeune homme au catholicisme avant de célébrer le mariage en l’église de Chamonix en 1927...

Un an plus tard naquit Donald, qui restera fils unique.


× Aux Armes de Savoie

1928 and next... Dans le sillage des premiers jeux Olympiques, la notoriété de Chamonix n’a fait que croître. Pour une population de 3 000 habitants, on compte déjà 50 hôtels et 3 000 lits, où 50 à 60 000 touristes se succèdent sur les deux saisons, sans parler des familles huppées et de leurs suites, qui se retrouvent dans leurs villas d’architecte sur les pentes, face au mont Blanc. La patinoire de 22 000 m2 peut accueillir 3 000 spectateurs, le téléphérique des glaciers est le plus haut du monde, le téléphérique du Brévent vient d’ouvrir...

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Rue Nationale, la rue principale, celle qui traverse le bourg de part en part (aujourd’hui rue Paccard et rue Vallot), on peut croiser Greta Garbo, Max Linder (pionnier du cinéma), Paul Emile Victor, Charles Vallot (fils de Joseph, auteur du «guide vallot», le fameux topoguide du mont Blanc), Maurice Farman (fondateur de la Société Générale des Transports Aériens) ou le petit prince Farouk d’Egypte, et bien d’autres people.

Frison Roche

Frison Roche

Dans ce contexte “fin des années folles”, où Chamonix connaît un développement fulgurant, tout un beau monde bigarré s’enivre d’air pur, d’altitude, de champagne et de fêtes. Harold et Marthe ouvrent Aux armes de Savoie, une boutique... d’antiquités. Et puisque le couple bilingue est toujours prêt à rendre service, puisque c’est toujours vers Harold qu’on oriente les anglophones, puisqu’Harold s’est mis à courir la montagne... les tiroirs des commodes Louis XV et les armoires Empire s’emplissent peu à peu de guêtres, lunettes, piolets, bonnets et mousquetons... Les étrangers se passent le mot : aux Armes de Savoie, tu trouveras all you need for walking and climbing ! Les grimpeurs anglais viennent y troquer leurs cordes - meilleures à l’époque - contre des chaussures. Et l’ami Frison Roche, journaliste au Petit Dauphinois, sait qu’il pourra rencontrer dans la boutique tous ceux qui comptent.